Le deuxième album de Solaris Great Confusion est un recueil de chansons folk raffinées dont les tons sépia se fondent idéalement dans le décor automnal. Autrefois guitariste pour Original Folks ou Buggy, Stephan Nieser est l’homme derrière ce projet qui évoque les univers intimistes et tourmentés de Tim Hardin, Robert Wyatt ou Bill Callahan. Le Strasbourgeois revient pour nous sur le processus de création de chacun des neuf titres qui composent ce Untried Ways enregistré avec des musiciens qui, pendant près de deux ans, lui avaient permis de transposer sur scène les chansons de de son premier album, Some Are Flies (2016).
My Bottom Line
Ici « bottom line » peut se traduire par « argument ultime ». Je l’entends ici comme « argument qui requiert le silence ou qui réduit au silence » . Le silence que l’on peut souhaiter mais aussi celui qui annihile toute possibilité de réponse et peut-être même de réconciliation… Il y avait ce petit riff d’arpège de guitare en Ré au départ qui tournait en boucle depuis des semaines. Je pensais pouvoir développer une chanson entière à partir de ce riff mais, les paroles venant, d’autres accords ont fini par s’inviter. Toutefois, leur pattern rythmique est analogue au premier riff afin de donner à l’ensemble un effet de continuum. J’avais fait une maquette très copieuse de ce morceau (trop comme à mon habitude). Jean-Sébastien Mazzero – l’ingénieur du son qui a mixé tout l’album – a décidé de n’en retenir que l’essentiel. Il a choisi la concision, les instruments n’intervenant que par petites touches, créant des sensations de silence justement par la mise en abîme, par exemple, d’un tom basse… Ce ne pouvait être plus adapté.
Untried Ways
Le titre commence par les accords du refrain soutenus par une rythmique basse/ batterie qui suggère immédiatement un sentiment d’apesanteur et enchaîne par le premier accord du couplet dont la modalité majeure/mineure est suspendue. La mélodie du chant, elle, est sur un mode majeur conférant un premier effet de superposition. L’accordéon d’Yves Béraud, qui intervient dès la sortie du premier couplet va s’intriquer harmoniquement avec le violoncelle d’Elise Humbert; les deux apportant une dimension supplémentaire en jouant – ou plutôt en se jouant – encore des modes majeurs ou mineurs et accentuant l’effet de superposition. Mais je parlerai plutôt ici d’indécision. Car c’est finalement de cela dont il est question. Untried Ways, morceau éponyme, évoque, dans le champ des réalités possibles (superposées et souvent indécidables), nos possibilités réelles à produire du sens sans créer de malentendus. La poésie y est invoquée comme modalité de langage, le mensonge pouvant devenir vérité, l’illusion réalité…
The Age Of Self
Reprise du 5ème titre de l’album Old Rottenhat (1984) de Robert Wyatt, sorti près de 10 après les magnifiques opus que sont « Rock Bottom et Ruth Is Stranger Than Richard. Ce disque est passé plus ou moins inaperçu dans la discographie de Robert Wyatt. typiquement le disque qui peut, selon moi, être flanqué de la la mention « underrated ». Je l’ai découvert qu’assez récemment, il y a trois ans. Autant dire que, grand fan de Wyatt, je l’ai écouté goulûment comme un inédit. Quelle merveille! Les harmonies de Wyatt sont parfois tellement complexes qu’il m’est difficile de les reprendre. Mais en ce qui concerne The Age Of Self , c’est venu assez naturellement et du coup dans une version plutôt folk assez éloignée de la version originale qui, elle, chose étonnante chez Wyatt, emprunte presque au disco des velléités dansantes. J’aime beaucoup la mélodie du refrain qui m’évoque un peu la chanson sud-américaine. Le texte, engagé comme souvent chez Wyatt, dénonce sans équivoque la société de consommation. Au milieu des années 80, c’était plutôt courageux d’afficher ainsi son goût pour la pensée communiste. Dans une tonalité très proche de Traffic Jam que nous enchaînons en concert comme s’il s’agissait d’un seul et même morceau. Nous avons trouvé cet arrangement assez spontanément avec Elise bien que sur le disque les morceaux soient éloignés. Je trouve ça bien que l’expérience du live et celle du disque soient distinctes.
She Kissed My Forehead
Morceau que l’on peut retrouver sur le premier album dans une ambiance assez différente. Comme tout passionné de disque, j’adore écouter les versions différentes d’un même morceau. Dernièrement, j’avais été véritablement cueilli par une version de I See A Darkness (Will Oldham) très enlevée et dansante, conférant au titre une perspective tout à fait nouvelle. Rien qu’en changeant légèrement le tempo et la tonalité, d’autres idées de guitare sont venues agrémenter She Kissed My Forehead et particulièrement la guitare d’Aurel Troesh qui assure la conduite de tout le morceau. Le texte est très cryptique car trop personnel. Pour le dire vite, disons que les particules dont il est question dans la chanson font plutôt référence à la maladie. Plus globalement, le texte évoque la bienveillance des mourants à l’égard des vivants. Cette élégance de cœur que certains mourants ont à l’égard de ceux qui restent en leur offrant les moyens de se réconcilier et/ou de résilier.
So Close To Me Marlene
Pour So Close To Me Marlene, je souhaitais me « risquer » aux influences du rock des années soixante. Je trouve cela toujours intéressant ces partis pris. D’une part pour sortir de sa zone de confort et parce qu’en définitive, on n’y arrive jamais vraiment… Il n’y a pas vraiment de danger à s’aventurer, nos routines, notre rhizome ont la vie dure. En ce sens, Marlene est davantage allégorique, elle personnifie le rapport souvent ambigu que nous entretenons à l’égard de la vie aventureuse, tantôt invoquée, tantôt redoutée… Afin de garder une sensation organique et groovy au morceau, nous avons enregistré live les partie basse/batterie/guitare respectivement de Foes, Jérome et Aurel au studio de l’ingénieur du son Alessandro Franzi – un expert de la microphonie – qui avait arrangé et mixé le morceau Close To The Bone de notre précédent album. J’ai souhaité un titre un peu choral avec les chœurs de Jacques Speyser et de Zeynep Kaya. Le morceau, fait d’un bois tout de même assez différent, est placé au milieu de l’album.
Inside A Hollow Tree
Peut-être le morceau le plus sombre de l’album alors que l’orchestration recherche l’esprit un peu pop-soul solaire que je retrouve merveilleusement chez le chanteur guitariste Matthew E. White avec ses albums Big Inner (2013) et Fresh Blood (2015) qui sont une source d’inspiration pour moi. La basse de Foes Von Ameisdorf, les vibrato de violoncelle d’Elise Humbert et les guitares d’Aurel Troesch vont dans ce sens, mais c’était sans compter peut-être avec l’inertie inhérente du propos même de la chanson… Le texte parle de ce qui au départ relève d’un choix, un renoncement assumé et finalement le sentiment de vide qui en découle avec le temps. Je m’adresse davantage à une inexistence qu’à une absence que j’illustre avec cette image de caillou lancé comme un message dans la souche d’un arbre mort. Conscient qu’il est peu probable qu’il me revienne en réponse… A l’écoute du morceau, je suis toujours saisi par les harmonies de vocales de Jacques Speyser. Chanter avec Jacques est toujours un bonheur, il m’a fait énormément progresser aussi.
Traffic Jam
Je suis arrivé chez Elise Humbert (violoncelle) – nous répétons habituellement dans son salon – avec la maquette de cette chanson et, très rapidement, elle a trouvé le contrepoint mélodique au violoncelle conférant au morceau profondeur et nuances. Le violoncelle a joué un rôle fondamental car il a permis de dérouler de manière très fluide tous les arrangements par la suite. Assez magiquement d’ailleurs, si bien que j’ai du mal aujourd’hui à en retracer le processus. Jérôme Spieldenner (batterie), par la suite, a œuvré sans consignes particulières et a fait – comme à chaque fois sur cet album – une proposition très forte. Des grincements de cymbales au jeu de balais très sec et autres nuances, il a littéralement ouvert une dimension supplémentaire. C’est sans doute le morceau le plus « à l’os » de l’album et traité dans ce sens par Jean-Sébastien, l’ingénieur du son. Je lui suis très reconnaissant d’avoir insisté dans cette voie qui ne m’était pas habituelle. Peut-être une direction pour l’avenir…
I Wish I Was Blind
C’est une valse country assurément (batterie balais, tempo hyper lent, guitares mouillées, basse de Foes très au fond du temps) mais je voulais lui donner un second degré aussi en lorgnant un peu du côté d’Adam Green. La chanson parle d’aveuglement, mais aussi de cécité volontaire… Volonté de ne pas voir pour ne pas avoir à assumer des situations honteuses, de celles qui nous disqualifient d’office lorsque l’on en fait un peu trop. Quand tous nos efforts, portés par un enthousiasme un peu trop débridé, se résument finalement à une triste mascarade… Zeynep Kaya, chanteuse du super groupe strasbourgeois Hermetic Delight, trouve non seulement le ton juste et un peu ironique de l’affaire mais transcende littéralement la chanson. Et Yves Béraud à l’accordéon… Je me rappelle quand il est venu à la maison pour enregistrer. Nous n’avions pas eu le temps de définir ses parties. A-t-il été porté par la voix de Zeynep ? Très probablement. En tout cas, il a livré en une prise la partie d’accordéon tout en spontanéité et ressenti comme il sait le faire et qui figure sur le titre. Et là encore, les intrications harmoniques et mélodiques avec le violoncelle d’Elise Humbert font merveille.
That Fellow’s Got To Swing
C’est une chanson assez ancienne du répertoire. Je me rappelle l’avoir joué l’une ou l’autre fois, il y a des années… Je l’avais laissée un peu de côté et puis, il y a deux ans environ, j’ai ramené la chanson en répétition avec le groupe pour tenter de la « ressusciter ». Depuis, nous l’avons joué quelques fois en concert et elle a pu enfin reprendre vie. La « tournerie » de guitare empruntée au blues avait plu immédiatement à Aurel Troesch qui, comme à chaque fois, a su trouver les contrepoints ad hoc de ma partie de guitare. Le violoncelle d’Elise et l’accordéon d’Yves, tout en élévation, ont apporté une texture à l’ensemble qui m’évoque le mercure comme pouvait le dire Dylan à propos de son album Blonde On Blonde. Le son est souvent une alchimie assez hasardeuse… La batterie de Jérôme et la basse de Foes sur la croche relient le morceau au sol mais tout en nuances. Le son de ce titre me semble toujours plus « acide » que pour les autres titres mais ce n’est pas dérangeant. Je trouve que cela souligne bien l’ambiance et le propos de la chanson qui, citée dans son titre, est empruntée à La Ballade de la Geôle de Reading d’Oscar Wilde.