Comment se renouveler, surprendre ses auditeurs, ne pas tomber dans la routine ? Faut-il faire du passé table rase et continuer de tracer sa propre route, sans pour autant laisser sur le bas-côté ceux qui vous suivent depuis le début ? Telles sont sans doute les pensées qui ont traversé l’esprit d’Auguste Arthur Bondy à l’aube d’envisager son nouvel album Enderness, le premier en huit ans et le quatrième de la discographie du Californien. Faire du passé table rase dis-je dans l’entame de mon propos, mais cela ne signifie pas oublier le monde d’où l’on vient, ni se couper de ses racines. Bien au contraire. La folk qui traversait ses précédentes créations est toujours là, présente, palpable. Mais cette fois-ci, il a choisi un angle différent. A savoir, faire un disque d’alt-folk / blues sans l’instrument iconique de ce genre musical dont il est le marqueur indéfectible, en l’occurrence la guitare sèche. Et faire se côtoyer une musique ô combien terrienne avec des machines électroniques et autres synthétiseurs, une guitare électrique venant de temps à autre soutenir la rythmique. D’aucuns s’y sont déjà essayés, avec plus ou moins de bonheur.
Enderness est un album solo au vrai sens du terme. Le natif de Birmingham, Alabama, ayant écrit, interprété, joué l’entièreté des 10 morceaux qui le composent et dont l’enregistrement a été terminé la veille de la destruction de sa maison par le grand incendie qui a ravagé la Californie au cours de l’été 2018.

La personnalité complexe de l’interprète transpire à travers tous les pores de ses paroles. Le titre est d’ailleurs révélateur. AA Bondy a manifestement de manière délibérée omis le « t » de Tenderness (tendresse) comme si ce sentiment était incomplet, insatisfait.
AA Bondy est ainsi ce ‘beau bizarre’ californien dépeignant sa lassitude d’un monde loin d’être utopique . “Stranger, if you come / Know that much is broken” chante-t-il sur Images of Love, premier single de l’album. Dans Fentanyl Freddy, ballade aérienne, il décrit de façon très absconse l’univers de ce Fred accro aux opiacés “I slip a twenty from your purse / I do the family curse/he was a Manson / she was a Fromme”, référence aux assassins de Sharon Tate. Plus loin, # Lost Hills résume l’essentiel de son propos : “I pray my way to hell”. Ce sont là les réflexions sans fioriture d’un auteur qui humblement expose ici ses questionnements, avec une grande cohésion d’ensemble, tout en nonchalance dans la voix, à la manière parfois d’un John Tillman / Father John Misty. Au final, on a affaire à un grand et beau disque de soul-blues nocturne 3.0.
A la fois acteur et voyeur, à travers ses textes et ses mélodies, AA Bondy nous renvoie, comme un miroir, l’image de ce monde imparfait dans lequel nous vivons. Un monde où une seule lettre vous manque et tout est désolé.
Discographie
American Hearts (2007)
When the Devil’s Loose (2009)
Believers (2011)
Enderness (2019)